Un club mythique, plus que centenaire, qui évolue en Nationale (la troisième division), un stade historique qui porte le nom d’un héros de la résistance, des supporters qui chantent « étoile rouge »... Bienvenue au stade Bauer, à Saint-Ouen, l’antre du Red Star FC 93, ou la banlieue populaire du ballon rond tente de résister au Grand Paris du foot business!
par Nicolas Kssis
Regards.fr
par Nicolas Kssis
Regards.fr
Loin des ors de la L1 et d’un PSG qui enflamme le mercato à coup de pétrodollars en rêvant de venir taquiner le Real Madrid ou Manchester City en Champions League, la saison de Nationale s’est paisiblement conclue. Dans cette troisième division un peu bâtarde, pas vraiment pro, dont le profil des participants oscille entre cimetière des éléphants (Rouen, Metz qui vient d’y descendre) et le réseau des sous-préfectures (Quevilly, Fréjus-Saint Raphaël, etc), le Red Star, l’un des trois représentants franciliens à y figurer (avec Créteil et le Paris FC), occupe une honnête onzième place.
Une heureuse surprise pour son président Patrice Haddad. Ce monsieur venu de la pub gère ce club atypique en caressant l’espoir d’en refaire le second grand club parisien. « On a eu un début difficile mais on a très bien conclu notre parcours. Et l’objectif reste de monter en L2 à l’horizon 2015, prophétise-t-il. Et nous avons été plutôt bien soutenus par la Mairie pour les infrastructures, notamment le passage au synthétique. »
C’est un peu finalement ce qu’avait résumé la maire de Saint-Ouen, Jacqueline Rouillon, pour saluer le retour en Nationale du club : « Je sais que les Audoniens auront à coeur d’encourager cette équipe qui leur est chère. Au-delà de notre ville, le Red Star porte une image positive de nos territoires, de notre jeunesse, avec la promotion de valeurs fondatrices de notre identité : solidarité, respect, citoyenneté. » « C’est vrai que nous attachons une vraie importance à l’éducation, par exemple avec le projet le Red Star lab », prolonge Patrice Haddad, une initiative qui ambitionne de faciliter l’accès à la culture « grâce à des ateliers pédagogiques gratuits, organisés lors des vacances scolaires, mariant sport et culture, et encadrés par des artistes reconnus et des éducateurs du club. » Le club a également signé un étonnant partenariat avec Sciences po, les étudiants s’investissant dans des actions culturelles et artistiques, pendant que le Red Star accompagne l’association sportive de la noble institution parisienne.
Un club historique
De fait, ce club représente à lui seul un pan entier de l’histoire du foot hexagonal. Fondé en 1897, il aura brillé entre les deux guerres, offert un héros de la résistance (Rino Della Negra de la FTP-MOI du groupe Manoukian, fusillé le 21 février 1944 avec ses compagnons de l’Affiche rouge), plongé en seconde division en 1955 pour « malversation » avant de quitter définitivement l’élite en 1974. Mais même en deuxième division, les rares spectateurs et supporters (Partizans 93, Perry boys, etc.) pouvaient encore contempler le grand Safet Sušić y clôturer sa carrière parisienne en 1992, le temps d’une petite aventure en coupe de France, ou voir le 9 septembre 1994 le Red Star battre l’ OM, le tout entre fumigènes et bagarres. Des supporters plutôt nombreux au regard de l’envergure sportive du club, comme par exemple le journaliste Claude Askolovitch qui twittait fébrilement lors de la rencontre au Stade de France contre Marseille en janvier dernier.
« C’est bien plus tard, m’étant plongé dans l’histoire du Red Star, raconte ainsi Didier Braun – mémoire vivante du journal L’équipe – dans son son dernier livre L’armoire à maillot, que je découvris que ce club à l’étoile rouge, ainsi nommé par pure anglophilie par son fondateur Jules Rimet – qui n’avait rien d’un bolchevik – avait connu la célébrité avec un maillot à larges rayures marines et blanches, avant d’adopter le vert de l’Olympique, lorsque les deux grands rivaux du football parisien des années 1920 avaient uni leurs destinées. » Signalons néanmoins que Jules Rimet, pour l’époque une sorte de « catho de gauche » (l’inverse de Coubertin), était un ancien du Sillon, qu’il inventa la coupe du monde de football, et refusa de cautionner la politique, certes très anti-foot de Vichy. Ce fut en quittant la capitale et ses beaux quartiers au début du xxe siècle et en s’installant au coeur de la cité laborieuse de Saint-Ouen, à deux pas des puces, que le club va changer de destin et d’image. Pierre Laporte, son historien officieux, membre de l’Amicale des anciens joueurs, en détaille les étapes. « Le stade Bauer a été construit sur des anciens jardins ouvriers en 1909 quand le club est venu y jouer. On y accueillera même les premières rencontres de l’ancêtre de l’équipe de France avant la guerre de 1914. Longtemps, il s’appellera simplement Stade de Paris ou Municipal. Son actuel patronyme, il le doit au changement, à la libération, du nom de la rue où il est domicilié en hommage à un résistant fusillé, et surtout à l’habitude prise par Le Parisien de le nommer ainsi. Comment oublier qu’en 1964, le Red Star, premier en D2, reçoit le Stade de Reims. La rencontre se déroule devant 22 000 entrées payantes quand la veille le Racing de Paris matchait l’OM au Parc des Princes devant à peine 2 200 spectateurs. »
Du foot populaire
Ce riche passé constitue le principal facteur explicatif de la séduction qu’opère encore cette modeste équipe auprès de ses jeunes supporters. Ces derniers s’avèrent particulièrement attachés au très vétuste Stade Bauer. En effet, un projet dans le quartier des docks existe dans les cartons de la mairie. « C’est Bauer à domicile, point. C’est l’âme du club et de ses supporters, on n’est pas Créteil. » Charlie des Perry Boys, un des plus vieux groupes ultra du club, avec ses aires de vieux skin sorti d’un roman de John King, évoque l’enjeu comme les gars de Tottenham qui refusent de quitter White Hart Lane. Son groupe de ska et reggae, le bien nommé 8°6 Crew a mis sur sa dernière pochette une photo du lieu du crime. Au-delà de l’affectif, tous veulent souligner cette singularité qui ne soufre aucune concession à l’air du temps. Vincent Chutet-Mézence, président du collectif des Amis du Red Star, une association née en 2001 au moment du dépôt du bilan et de la plongée dans l’enfer de la division d’honneur, en parle avec émotion : « Moi, j’ai commencé à venir au Red Star avec mon grand-père. Quand je suis revenu, j’ai adoré Bauer, l’ambiance, ce côté stade à l’anglaise, au coeur de la ville. » Le collectif gère un petit local dans le stade où il agrège les vieux fidèles, les anciens joueurs qui continuent de venir par amitié, les responsables des diverses sections de jeunes et la génération des gradins en Fred Perry, samba et tee-shirt Sankt-Pauli. « Ce que j’apprécie, c’est le côté football populaire, à l’ancienne, se confie Mathieu, supporter du Red Star. Rien que le prix des places, 2,50 euros en tarif étudiant, c’est appréciable… C’est combien au Parc des Princes ? Ici, on peut boire sa bière pépère sans 10 000 caméras de surveillance, mater un match tranquillement avec un niveau footballistique pas dégueu. »
Certains anciens ultras du PSG, déroutés par les évolutions récentes, ont même osé le transfert. « Avant j’allais au Parc des Princes, raconte Julien, mais je n’y suis jamais retourné depuis l’instauration du plan Leproux. J’ai déménagé à Saint-Ouen et comme j’étais à côté du stade, je suis allé à pas mal de matchs en CFA. Dans les gradins, il y a de tout. Des personnes que je peux voir en manif, des skins, des vieux qui ont connu la D1, des gamins de Saint-Ouen qui reprennent les chants du Kop. Ce n’est pas une enceinte de 40 000 places avec 20 000 ultras, mais dans ce stade, tu sens que ta présence peut vraiment changer un truc. » Tout l’enjeu sera d’arriver à conserver cette alchimie face aux dures réalités et exigences du foot pro.
No hay comentarios:
Publicar un comentario