Dans ce domaine du football, le sport ouvrier dut innover pour que son existence ne se résume pas à une miniature rouge du sport officiel. Il eut pourtant du mal à appréhender l’apparition, en 1930, de cette invention -française- que fut le Mondial en Uruguay, balbutiant et loin d’atteindre les sommets qu’on lui connaît actuellement en nombre d’équipes participantes ou en sommes financières engagées. La dynamique unisport n’était analysée que comme une mutation du sport bourgeois, sans grande conséquence sur le fond.
Le sport travailliste s’employa néanmoins, progressivement, à se positionner face à son impact, son évolution et ses enjeux (1).
Une des répercussions de ce processus se concrétisa, dans la tradition du contre-sport rouge, avec la mise sur pied des coupes du Monde du football ouvrier, enracinées dans le terreau de la spécificité travailliste.
La solidarité internationale
A partir de 1934, le sport ouvrier s’évertua à promouvoir, face aux Olympiades de Berlin, sa conception de l’olympisme. Dans le même temps, il initia donc également, plus ou moins régulièrement, des rassemblements internationaux de football en France, qualifiés de coupe du Monde de football travailliste ou du football ouvrier.
Le comparaison s’arrête ici. Dans le domaine du football, il s’agit moins de se substituer ou de rectifier l’original, que d’établir, plutôt par la terminologie usitée, la légitimité de l’épreuve. Le combat principal de l’olympisme porte, pour les travaillistes, sur l’interprétation des valeurs. L’expression « Coupe de football internationale » sert avant tout à signifier la présence d’équipes étrangères et surtout à procurer une certaine solennité à l’événement, signalant par là même, la qualité des rencontres. On tente de la sorte, en s’appropriant une appellation qui commence à devenir le gage suprême, d’invoquer une reconnaissance sportive par amalgame allusif.
Toutefois, il existe évidemment des différences importantes entre les deux dispositifs. Si, pour les sportifs ouvriers, la formule compétitive reste la norme, on ne procède pas, en revanche, à des phases éliminatoires. On invite qui veut venir dans le cadre des contacts et des affiliations internationales (l’Internationale Rouge des Sports [IRS] pour la FST), souvent conditionnés par le contexte politique. Ainsi, à l’occasion du rassemblement sportif international d’août 1934 (2) de l’IRS, inséré dans la dynamique unitaire à la fois du Front populaire et du sport travailliste, on invite officiellement des formations venant de l’Internationale Sportive Ouvrière Socialiste (ISOS). Deux équipes hollandaises, appartenant aux deux courants, disputent à Pershing un match en faveur d’Ernst Thaelman, militant communiste allemand interné par les nazis et qui mourra à Buchenwald en 1944. Car, autre aspect fondamental, les coupes du Monde travaillistes sont alors placées d’abord sous le signe de la solidarité internationale. Elles possèdent une dimension politique justificatrice de leur existence qui accompagne, dans leur démarche, la dimension sportive. La présence des équipes étrangères forme, en elle-même, la raison de la coupe et non pas sa conséquence.
Football et internationalisme
Le football fut, en effet, un des vecteurs privilégiés de l’internationalisme sportif au sein de la FST ou de l’USSGT. Déjà pratiqué dans toute l’Europe, il offrait la certitude de susciter l’intérêt lors des galas de soutien à diverses causes et de satisfaire toutes les délégations étrangères.
Juste après la Grande Guerre, la jeune fédération sportive rouge, ralliée à l’IRS, mit ainsi un point d’honneur à rencontrer des équipes de son homologue allemand pour afficher son refus du Traité de Versailles, sa volonté de dépasser les antagonismes nationalistes « entretenu par la bourgeoisie ». Cette logique, si son sens idéologique se modifie, conserve encore en 1934 et ce, jusqu’à la guerre, sa prépondérance. La puissance symbolique de l’origine des équipes reçues constituait l’attrait majeur de ce genre d’événement. Et accueillir l’URSS à Paris représentait, pour la section française de l’IRS, un geste politique capital, incarnant la volonté de faire reconnaître sportivement et politiquement « la patrie du socialisme ».
Deux approches du football
Autre réalité, le sport travailliste utilise le contre-modèle du sport dominant pour mettre en relief les qualités sportives de son football ouvrier. En 1934, alors que se tient le rassemblement sportif international déjà cité -et, nous le rappelons, caractérisé par le refus du fascisme- se déroule en Italie (31 pays participent aux phases éliminatoires, 16 sélectionnés), la deuxième coupe du Monde de football. Ce fut, avant Berlin, la première fois qu’un spectacle sportif fut à ce point instrumentalisé au service d’un état totalitaire. Jules Rimet devait d’ailleurs admettre que Benito Mussolini devint de facto le véritable président de la FIFA durant la compétition. La FST dénonce vivement ce qui se passe de l’autre côté des Alpes, sous « les auspices du chauvinisme et du nationalisme ». Elle y oppose son football, obéissant aux seules règles de la solidarité, du respect de la morale sportive et du refus de la commercialisation (3).
La FSGT persistera dans cette logique, reprenant fréquemment, de la sorte, cette dénomination pour ses tournois internationaux, surtout quand ils se déroulent à l’occasion d’une manifestation telle que l’Exposition universelle de Paris, en 1937 (4).
Car, pour terminer, il faut signaler une autre distinction de poids, dans l’approche du football, qui révèle la singularité du sport travailliste : les coupes du Monde ouvrières demeurent le plus souvent intégrées dans un cadre omnisports. Elles ne composent qu’un volet d’un événement plus vaste. Le modèle, ici, reste donc, d’une certaine manière, davantage le tournoi olympique. Le sport travailliste refusait déjà, dans son utilisation du spectacle sportif, la logique de spécialisation à outrance et de séparation des diverses disciplines.
(1) Comme la FSGT le fera à l’occasion de la coupe du Monde en Argentine de 1978 (cf. SPA, 05/1978) (2) Le RSI constitua une étape importante dans la marche unitaire qui allait conduire à la naissance de la FSGT (cf. A. Gounot « Le rassemblement sportif international contre le fascisme et la guerre » in A. Whal & P. Arnaud [dir.] Sport et relations internationales, Metz, 1994]) (3) Alfred Menguy se livre par exemple à une enquête dans le journal Regards intitulé « Le football sport ou industrie ? », Regards 28/09/1934 (4) L’Humanité, 30/07/1937
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